Le Parc floral de Boutiguéry à Gouesnach (29)
Le domaine de Boutiguéry est situé sur la commune de Gouesnach, dans le Finistère sud, à 40m au-dessus des « Vire-courts », là où serpente la rivière l’Odet et à côté de Pors Meillou (abri du moulin en Français) non loin du mouillage des Pen Duick d’Eric Tabarly qui habitait à proximité. La propriété se trouve située dans le prolongement du placître de la chapelle de Notre Dame du Vray Secours ; nous sommes chez les Blanchet de la Sablière.
Le samedi 23 avril 2016 les voitures des membres de l’association Balades et Jardins se présentent à l’entrée du parc et se regroupent sous les grands arbres. A 9h45 Bidou et Sophie, responsable de l’organisation des visites, font les comptes : nous sommes 31 sur 33 inscrits. A 10h Virginie Blanchet de le Sablière, la jeune maîtresse des lieux, nous accueille avec son grand sourire.
Entrer à Boutiguéry c’est aussi une invitation à voyager. Issue d’une famille d’explorateurs et d’artistes, Virginie se lance d’abord dans la vente, alterne longues périodes au service des assurances, de la restauration ou du prêt à porter et périples autour du monde, sac au dos. En 2007 elle arpente le Pérou, la Bolivie, chemine en Indonésie mais ce qui définitivement la bouleverse c’est la Nouvelle Zélande. Le temps passe, la beauté des fleurs et des feuilles lui manque terriblement…Elle reprend ses études, cette fois de paysagiste. Depuis 5 ans Virginie est à la tête du plus grand conservatoire des nouveaux rhododendrons hybrides de France. Son père, jamais vraiment loin, veille à ses côtés un sécateur à la main.
Avant de nous inviter à entrer dans son domaine hautement réputé chez les botanistes et les amoureux des parcs « à l’anglaise », Virginie nous rappelle brièvement l’histoire des Blanchet de la Sablière et de la création du parc.
Une histoire de famille unique
Le 16 juin 1841, au dernier feu de la troisième bougie, Charles Fidèle de Kerret et son épouse, Félicie Lefeuvre de la Faluère, déjà possesseurs du domaine de Lanniron (près de Quimper) depuis 1833, deviennent également propriétaires des terres de Boutiguéry.
Le manoir à l’abandon depuis 22 ans est en piteux état. Sa restauration ne semble pas utile à Charles Fidèle. Le projet d’un nouveau château plus moderne et d’une basse-cour est mis à l’étude. Il est fait appel aux frères Denis et Eugène Bülher, architectes paysagistes d’origine suisse, pour établir le tracé des allées, perspectives et accès du futur parc à l’anglaise. En 1867 les plans des communs sont achevés et leur construction peut débuter, notamment grâce aux briques rouges produites sur le domaine. En 1872 Charles Fidèle et son épouse font donation de leurs biens à leurs enfants. C’est Carl qui reçoit Boutiguéry.
Né en1842 à Lanniron il étudie à Saint François Xavier à Vannes. Après la guerre de 1870 il s’installe à Boutiguéry qu’il embellit et qui lui doit certainement ses premiers rhododendrons. Il décède en 1887 et est inhumé dans la chapelle de Vray Secours à Boutiguéry. Sans postérité il lègue le domaine à sa sœur Hermine qui avait épousé en 1855 Georges Blanchet de la Sablière dont elle eut cinq enfants.
L’un de leurs cinq enfants, né en 1863, n’est autre que Georges, le grand-père de Christian de la Sablière et l’arrière-grand-père de Virginie. Epris de montagne et de botanique il prend goût à l’aventure. Il a été bercé par les récits d’expéditions à Tahiti, aux Marquises puis à Honolulu de son oncle Jean René Maurice de Kerret, embarqué comme dessinateur et auteur d’un Journal de Voyage Autour du Monde de 1852 à 1855. A peine âgé de 19 ans, Georges crapahute déjà au Spitzberg. Le voici nommé en 1884 membre de la Société de Géographie alors présidée par Ferdinand de Lesseps. Deux ans plus tard, il prend la route de l’Alaska, traverse les Etats-Unis, côtoie les chercheurs d’or. En 1889 il passe de la chasse à l’alligator en Louisiane aux expéditions vers les terres polaires…A son retour en Bretagne il meurt de la fièvre typhoïde laissant une veuve et trois enfants.
Le château ne sera donc jamais construit. Quand Carl, le père de Christian, en hérite, il décide de réaménager les écuries en les transformant en cottage de style anglo-normand pour les rendre habitables. Carl de le Sablière fut médaillé d’or en voile en 1928 aux JO d’Amsterdam ; il fera construire plusieurs yachts d’après ses propres plans. La passion de la mer restera très présente dans la famille. Il commencera également une collection de rhododendrons et d’azalées à Boutiguéry. A son décès en 1979 il laisse la demeure à son fils cadet, Christian, le père de Virginie.
Né à Boutiguéry en 1931 Christian de la Sablière fréquente l’Ecole des Beaux-Arts à Quimper où il acquiert le goût et la connaissance des couleurs. Attiré par la mer il ouvre sur un chantier naval ; Fou de régates et de compétitions il va finir par réaliser son rêve en intégrant l’équipe Bic pour le défi de la Coupe de l’América.
Un autre défi se présente à lui quand, en 1987, un terrible ouragan dévaste le parc et le domaine forestier. C’est de ce désastre que va naître l’actuel parc de Boutiguéry, 20 hectares couverts de nouveaux plans chaque année pour aboutir aujourd’hui à plus de 40.000 plants. Le vent avait créé l’espace, le jardinier – terrassier l’a organisé, le peintre le colore….
Avec Marc Colombel, fondateur en 1993 de la Société Bretonne du Rhododendron, Christian de le Sablière expérimente l’hybridation. Aujourd’hui on peut dire qu’ils sont en France les deux grands spécialistes des rhododendrons hybrides modernes.
La visite peut commencer. Virginie attend une livraison de rosiers pour sa pépinière ; c’est Christian, son papa, qui nous guidera. Elle nous rejoindra un peu plus tard.
C’est en suivant une longue et large allée bordée de cerisiers en fleur et de plusieurs chênes centenaires que le groupe de Balades et Jardins se dirige vers le ‘manoir-cottage’ où le maître des lieux nous attend. Sur notre gauche d’imposants massifs de Rhodo Sapho ; ce très ancien hybride mentionné pour la première fois en 1847, est reconnaissable à sa macule noire qui contraste avec la corolle blanche.
Après un accueil chaleureux, Christian de la Sablière nous propose de nous rendre dans une zone du parc qu’il vient d‘aménager et de planter. Sur le parcours on peut reconnaître la ‘patte’ des frères Bülher dans le tracé des allées qui suivent les courbes de niveau, les grands arbres en point de mire et les imposants massifs de rhododendrons.
Sur le chemin nous pouvons admirer un hêtre greffé en pleureur, des prunus eux aussi greffés sur cerisiers, en pleine floraison et qui tentent d’éclipser des magnolias centenaires tandis qu’un Cedrela sinensis s’élève en colonne avec de jolies feuilles roses devenant crème, créant une scène parfaite avec les paulownias aux fleurs parfumées, d’un bleu violet soutenu. Une gelée tardive vient de roussir les fleurs d’un Magnolia sieboldii.
Christian est aussi un forestier inscrit à la chambre d’agriculture du Finistère et les arbres de son domaine n’ont plus aucun secret pour lui. Il nous explique que les châtaigniers sont victimes d’un mal qui fait pourrir les racines et les fait mourir. Beaucoup de séquoias ont été plantés après l’ouragan de 1987. Aujourd’hui Christian plante des métaséquoias qui perdent leurs feuilles en hiver et laissent passer la lumière.
Le Métaséquoia glydostroboïdes était considéré comme un arbre fossile. La découverte au Sichuan (Chine) de quelques individus vivants en 1941 fut un évènement. Le premier planté en France le fut en 1948 à Paris. C’est par semis de graines originaires de Nouvelle Zélande que notre ‘forestier-botaniste’ de Boutiguéry obtient des dizaines de plants qui seront mis en terre afin de tester leur résistance et leur adaptation à la terre et au climat de l’Odet.
Inutile de vouloir marier entre elles les deux grandes familles de rhododendrons : les lépidotes avec les écailles sur les feuilles et les élépidotes aux grosses fleurs et aux feuilles toute lisses. Elles voisinent avec les Azalées mollis à feuilles caduques venues de Chine et les azalées indica ou azalées japonaises qui gardent leurs feuilles ; en fait on ne dit plus azalée aujourd’hui. Toutes ces plantes sont aussi des rhododendrons.
« L’hybridation m’intéresse car je suis un coloriste et j’aime créer ce qui n’existe pas » avoue Christian de la Sablière.
L’opération est simple mais demande de la patience : faire tomber le pollen d’une fleur sur le pistil d’une autre, puis le protéger par un capuchon d’aluminium. Une fois les graines formées et récoltées, les semer dans des terrines abritées dans une serre où elles mettent environ trois semaines à germer. Choisir les jeunes plants les plus ‘costauds’, les repiquer et attendre de deux à trois ans avant de les replanter au jardin. Il conviendra encore de patienter deux ou trois ans pour voir apparaître la première fleur et savoir enfin si l’hybridation est réussie. Le coloris de la fleur hybridée est définitif mais comme le résultat n’est jamais parfait on réhybride souvent pour l’améliorer. Christian est obligé d’avoir des carnets où chaque plante est répertoriée avec sa date de naissance et le nom de ses parents. Ses carnets ne le quittent guère pendant ses visites.
Les couleurs préférées de Christian de la Sablière se situent dans la gamme des tons chauds. Il mène aussi d’autres recherches pour obtenir un beau feuillage, augmenter la grosseur des fleurs ou leur nombre dans un bouquet. Il y a peu d’hybrideurs en France ; les plus nombreux étant américains, une grande amitié les lie.
Ce qui intéresse en ce moment Christian c’est la poliploïdie. Avec son ami et voisin, Marc Colombel, ils possèdent actuellement deux ans d’avance sur les Américains dans leurs hybridations de rhodos polyploïdes.
Pendant une déambulation sur le domaine, nous avons pu admirer:
- Un Magnolia Campbelli (magnolia de Campbell)
- Un Embothrium coccineum lanceolatum, surnommé l’arbre de feu du Chili, souvent ‘taillé’ par les chevreuils, graines rapportées par Marc Colombel de Nouvelle Zélande.
- Une Azalée mollis qui se plait sur les bords de l’Odet.
- Une Glycine blanche et bleue en arbre sur des tuteurs en bambou.
- Un Rhodo Williamsianum hybrides.
- Un Camellia réticulata.
- Un Rhodo Boddaertianum (rhodo de Pâques
- Un Rhodo Augustini Hybrides avec leurs petites fleurs bleues.
- Un Rhodo Madenii ssp crassum avec promesse de parfum.
- Un Rhodo excellens
- L’ancienne motte féodale qui dominait la vallée de l’Odet.
- Un hybride de rhodo Yak par Elliotti.
- Un rhodo décorum
- Un Cedrela sinensis Flamingo
- Un Accacia cultriformis
- Un Rhodo maccabeanum issus de semis avec leurs gros boutons à fleur.
- Un Rhodo Thomsonii
- Un Rhodo eximium avec ses grandes feuilles.
- Un Rhodo polyandrum avec beaucoup de parfum.
- Un Rhodo L’Engin,une création de Christian de la Sablière au potentiel remarquable en hybridation.
- Un Koromo shikibu, azalée introduite par Marc Colombel en France.
- Un Rhodo Horizon Monarch/l’Engin, une hybridation obtenue par Christian de le Sablière pour obtenir un plant vigoureux et une couleur jaune/rouge. Actuellement, plus de 80 hybridations sont issues de ce croisement.
Il est 12h45 la visite va se poursuivre par la pépinière de Virginie qui existe maintenant depuis deux ans. Les membres de Balades et Jardins sont fascinés par le nombre de plantes rares à la vente et superbement mises en scène. Les 400 m2 de la serre ont permis de développer des ateliers botaniques et de mettre à la vente des variétés créées et produites à Boutiguéry. Virginie de la Sablière est la princesse de ce parc enchanté entièrement façonné par son père, Christian. J’emprunte la conclusion à Marc Colombel : « Ce parc fera un jour référence dans le petit monde du rhododendron en France car il possède un potentiel extraordinaire »
Boutiguéry et Christian de la Sablière représentent pour moi d’excellents souvenirs. C’est dans ce parc que le 8 mai1993 je rencontrai Marc Colombel et Christian pour la première fois. Marc me dédicaça son livre, « Rhododendrons, Mode d’Emploi », et je décidai d’adhérer à la toute nouvelle Société Bretonne des Rhododendrons (S.B.R) qu’il venait de créer.
Date : 23 avril 2016
Texte : Christian H
Photos : BidouDomaine de Boutiguéry et sa pépinièreChristian de La Sablière et sa fille Virginie de La Sablière
61 route de Pors Meillou – 29950 Gouesnach